À la fois complice intellectuel et mécène de Karl Marx Friedrich Engels (1820-1895) héritier d'une famille prussienne calviniste endura une carrière dans le « maudit commerce » du coton afin d'assurer à son ami les ressources et la liberté nécessaires pour écrire Le Capital. Membre de la Bourse royale de Manchester Engels menait la grande vie buvait sec et s'adonnait à tous les plaisirs de l'existence : le château-margaux la chasse au renard et la compagnie des femmes. Docteur Jekyll le jour il était Mister Hyde la nuit socialiste révolutionnaire en ménage avec Mary Burns ouvrière irlandaise qui l'introduisit dans les milieux populaires. Cet écheveau de contradictions imprègne les oeuvres majeures de Marx auxquelles Engels insuffla son expérience des rouages du capitalisme mondial de la vie en usine et de l'insurrection armée. Puis retiré du monde des affaires il devint à la mort de son ami le gardien de l'orthodoxie marxiste se consacra à ses propres écrits et au mouvement socialiste international en gestation. D'un bout à l'autre la vie d'Engels épousa l'histoire révolutionnaire du XIXe siècle en Europe des tavernes du Berlin hégélien à la grisaille de l'Angleterre victorienne des barricades de 1848 en Prusse à la Commune de Paris des taudis de Manchester au Londres doré des rentiers en passant par la naissance de la social-démocratie allemande. Dans cette remarquable biographie qui replace ce « second violon » hors de l'ombre tutélaire de Marx le virtuose Tristram Hunt brosse en véritable conteur le portrait d'un héros balzacien qui parvint envers et contre tout à « faire sa propre histoire ».