Que la parution des «Emigrants» de W. G. Sebald ait suscité en Allemagne aux Etats-Unis et en Angleterre une grande émotion tient certes à la qualité des critiques ou des écrivains (Susan Sontag Paul Auster Arthur Miller...) qui ont désigné ce livre comme une oeuvre d'exception. Mais cet accueil Sebald le doit surtout au si prégnant lyrisme mélancolique avec lequel il se remémore — et inscrit dans nos mémoires — la trajectoire de quatre personnages de sa connaissance que l'expatriation (ils sont pour la plupart juifs d'origine allemande ou lituanienne) aura conduits — silencieux déracinés fantomatiques — jusqu'au désespoir et à la mort. Mêlant l'investigation et la réminiscence collationnant les documents (photos journaux) et les témoignages Sebald effleure les souvenirs avec une empathie de romancier une patience d'archiviste une minutie de paysagiste pour y redécouvrir le germe du présent. A la lisière des faits et de la fiction la fraternelle écriture de Sebald est bel et bien celle du temps retrouvé une reconquête de ce passé-présent où s'énonçait il y a peu notre lancinante histoire commune. "Un monde a disparu note Susan Sontag à propos de ce livre. Tout le monde le sait même si nous ne nous soucions guère de regarder en face toutes les conséquences de cette disparition de la destruction de tant de mondes à commencer par la maison Europe. Le livre de Sebald sur ceux qui ont perdu leur monde — serein élégant déchirant exaltant par la sensualité de ses descriptions — constitue le récit définitif et métaphorique de notre condition de sans-abri."