Dans les Manuscrits économico-philosophiques de 1844 on n’a parfois vu qu’un document à valeur de témoignage sur ce qu’était Marx à la veille de sa « sortie » de la philosophie. Il ne peut s’agir de tomber dans l’extrême inverse qui ferait des Manuscrits le seul texte de Marx digne d’entrer au Panthéon de l’histoire de la philosophie. Les Manuscrits ne sont pas un obstacle à surmonter pour accéder à Marx ils ne sont pas non plus « tout Marx » : ils offrent une voie d’accès à sa pensée justement parce que Marx y conquiert une pratique nouvelle de la philosophie comme « critique de l’économie politique » c’est-à-dire comme critique du savoir dans et par lequel l’époque forme et expose sa conscience d’elle-même. En ce sens Marx radicalise l’entreprise critique inaugurée par Kant poursuivie par Fichte et Hegel : chez lui la critique philosophique du savoir de soi de l’époque – comme d’un savoir tronqué imaginaire et trompeur – aboutit à l’exigence d’une transformation de la pratique sociale qui engendre cette méconnaissance et cette fausse conscience. Mieux comprendre le monde en changeant ensemble notre manière d’être et d’agir : loin de tourner le dos à la philosophie Marx renoue avec son ambition première et fondatrice toujours actuelle.