On a beaucoup écrit sur la bêtise mais le bilan reste assez modeste. En dépit de quelques tentatives qu'il faut d'ailleurs porter au crédit d'écrivains (Jean Paul Flaubert Bloy Musil Barthes) la bêtise n'a pas bénéficié d'une investigation systématique et sa définition reste confuse. La philosophie dont la fonction selon Nietzsche serait de "nuire à la bêtise" a oublié sa mission et c'est à réparer cet oubli que s'emploie Alain Roger. On s'est fourvoyé quand on a voulu voir dans la bêtise une chute dans l'animalité ou l'irrationalité. L'auteur montre au contraire qu'elle s'autorise des lois de la raison et même s'en réclame avec fatuité : "La bêtise n'est pas une carence ni une déficience : si elle pêche c'est par excès." Ce qu'il nomme la raison suffisante dont la forme la plus spectaculaire est la bêtise identitaire qui s'exprime par prédilection dans la tautologie : "Un sou est un sou." Face aux carences de la philosophie l'abondance des références littéraires donne à penser que la bêtise est en son propre l'affaire des écrivains : "On pourrait même se demander s'ils ne l'ont pas inventée." Ce Bréviaire se fait dès lors "bestiaire" et expose les principales figures de la bêtise à travers la comédie chez Molière Labiche Feydeau et le roman de Balzac à Proust en passant par Flaubert dont l'oeuvre peut être considérée comme une anthropologie de la bêtise. Ecce Homais.